Elle avait l’habitude d’écouter son père raconter des histoires de quand il était enfant, dans un village de Meuse petit comme un mouchoir de poche mais « vrombissant » d’aventures humaines, ils appelaient ces RV « des séances de travail », elle tapait sur le clavier de son ordinateur les paroles de la mémoire. C’est donc tout naturellement, sans y penser, qu’Isabelle Pinçon a capté, portable sur les genoux, les petits moments de quand il est devenu très vieux près à mourir, dans sa chambre d’hôpital, plutôt inspirée par l’état brut du présent, de ses dernières paroles du quotidien à lui, des autres autour, infirmières, médecin, famille et sa voix-off à elle, sans pathos qui s’élève pour l’accompagner le plus loin possible vers l’ascension mortelle.

Isabelle Pinçon

Spectacle créé en octobre 2011, en résidence à la friche industrielle Ursa Minor (Site Mosser, St-Etienne).
Adapté d’un texte inédit d’Isabelle Pinçon

Avec Yolande Guillot, Sabrina Lorre, Caroline Michel, Bruno Zancolo, et la voix de Guy Robin
Mise en scène, scénographie, lumières : Stéphane Raveyre
Régie générale : Fourmi
Costumes : Stéphanie Lhopital
Graphisme : Nicolas Dalle Fratte

Production Compagnie La Réserve
Avec l’aide à la création de la Ville de St-Etienne
En partenariat avec la Fête du Livre de Saint-Etienne
En coréalisation avec Petits Travaux – Ursa Minor / Site Mosser
Avec le soutien logistique du CHU de St-Etienne

Un texte poétique pour un théâtre d’images

Après Celui qui était dans le lit, monologue poétique d’Isabelle Pinçon que nous avons créé au Lieu Unique à Nantes en 2008 dans le cadre des Chantiers d’Artistes, nous avons eu envie de poursuivre notre collaboration avec cette auteure en abordant son dernier texte : Chambre zérosix, le seul qu’elle ait écrit – dit-elle – en pensant au théâtre. Ce qui nous intéresse dans sa démarche d’écriture, c’est cette recherche d’un point de rencontre entre poésie et théâtre, où ne soit sacrifiée ni la particularité d’un langage poétique, ni la forme théâtrale elle-même. Dans Chambre zérosix, ce sont des personnages, un espace et une temporalité donnés ; ce sont des dialogues, porteurs d’interaction, de jeu, auxquels l’auteur juxtapose de longs temps de récit, plus narratifs mais aussi plus contemplatifs, où la dimension poétique se déploie pleinement. L’histoire évolue ainsi entre instantané et récit, présent et passé. Par ailleurs, dans mon travail de metteur en scène, j’ai coutume de procéder par images, par métaphores, d’invoquer un univers visuel à la limite entre le rêve et la réalité. La poésie d’Isabelle Pinçon, qui joue sur ces décalages de temporalités, mais aussi sur la fusion de styles littéraires différents, a immédiatement résonné en moi. C’est dans cette attirance réciproque pour “le savoir faire” de l’autre que nous avons voulu rêver ensemble ce spectacle.

Exorciser la mort

Isabelle Pinçon avait l’habitude d’écouter son père raconter sa vie, lors de rendez-vous réguliers, ils appelaient ça « des séances de travail », car elle retranscrivait ses paroles sur ordinateur. Lorsque son père est allé à l’hôpital pour un cancer, ils ont continué les séances, sauf qu’Isabelle Pinçon a commencé à retranscrire les paroles des infirmières, des médecins, des proches en visite. Au résultat un texte atypique, entre documentaire et poésie, un mariage de réalité triviale et de beauté verbale. Beaucoup d’images.

En restitution poétique, Chambre zérosix témoigne de cette expérience de vie unique qu’est la mort d’un père. Où est la fiction, où commence le documentaire ? La poésie donne-t-elle ici à la réalité la possibilité de devenir fiction ? Aborder la thématique de la mort – assez éloignée des prérogatives de notre culture qui peut souvent tenter d’en nier l’existence – n’est pas chose aisée de nos jours. Pourtant l’auteure, loin de verser dans le morbide ou le mélodrame, nous convie simplement à regarder, à éprouver la singularité de ce moment de vie qui est d’accompagner un être cher à quitter la vie, et peut-être ainsi tenter d’abolir en nous les frontières mentales qui nous font continuellement oublier que vie et mort sont indissociablement liées.

S’imprégner du vivant

Avant les répétitions j’ai beau essayer de prendre de l’avance dans le travail, lire et relire l’auteur, convoquer par le col les mythes, les références à l’actualité ou à d’autres œuvres théâtrales – Le roi se meurt de Ionesco cette fois-ci par exemple, que je venais de travailler et dont j’étais alors tout pétri – le jour J, les acteurs arrivent et tout explose, par eux les mots deviennent autres. Puis le lieu – ici une friche industrielle – impose ses contraintes et déloge mes ‘‘idées’’ de metteur en scène. Reste l’intuition. Les trajectoires sont dictées en live par les comédiens, in situ par l’espace, in senso par les mots. C’est encore une fois de cette façon qu’est né le spectacle Chambre zérosix, en interaction avec le vivant, en s’imprégnant du vivant.

Stéphane Raveyre et Caroline Michel

PresseIsabelle PinçonCelui qui était dans le lit

Photos Alice Tedde, Nicolas Dalle Fratte, Stéphane Raveyre